MEURTRE A LA RUE COLETTE : 20 ANS DE RECLUSION CRIMINELLE POUR LES DEUX ACCUSES QUI ONT POIGNARDE A MORT YUSUPHA.

Cour d’assises de la Loire
Meurtre de la rue Colette : « Ils l’ont poignardé partout, sauf la tête »

Attaque sauvage, en mai 2021, rue Colette à la Métare. Du sang sur le sol, les escaliers, les murs. Yusupha, un jeune Gambien d’une trentaine d’années, meurt sous une pluie de coups de couteau.
« Ils l’ont poignardé partout sauf la tête », dit son ami. Quatre accusés, arméniens, sont jugés cette semaine aux assises sous haute surveillance.

« J’avais peur de venir témoigner. Est-ce qu’il n’y a pas un risque ? », s’inquiète le jeune homme. Raphaël Vincent, président de la cour d’assises, le rassure : « Non, Monsieur, il n’y a aucun problème, vous allez témoigner aujourd’hui. » Il lui précise qu’il y a du public, des avocats, des magistrats et des assesseurs.

Quelques jours après le drame, des rixes opposant différentes communautés avaient agité le quartier de la Métare. La justice a donc bien fait les choses : des policiers, répartis dans la salle des assises, veillent à la sécurité et empêchent les proches de la victime et les accusés, qui comparaissent libres, de se croiser.

 

La mort en direct sur une vidéo


La rue Colette, à Saint-Étienne, c’est une grande barre d’immeubles d’une quinzaine d’étages. « Il y a beaucoup de témoignages de bruits étranges dans les étages, car les murs recueillent des sons en provenance de plusieurs étages », explique le président d’assises. « Il n’y a pas de double vitrage, donc c’est bruyant. »

Le drame s’est déroulé en pleine nuit. Les enfants qui dorment sont réveillés par les cris.
Le 30 mai 2021, vers 2h du matin, un groupe d’hommes, lourdement armés de couteaux, pénètre dans les étages de la barre. Les coups de couteau pleuvent sur un homme. L’attaque dure quelques minutes. La scène est captée par une vidéo. Le document est versé au dossier. Pendant ce procès en cour d’assises, elle est retracée en un peu plus de dix minutes.

Une minute une mort en direct. Celle de Yusupha York, un Gambien d’une trentaine d’années. On voit le jeune homme faire face, avec un pauvre t-shirt blanc, aux quatre accusés. Des coups. Des cris. Une première cache son visage. Le tee-shirt rouge de Yusupha, peu à peu, se gorge de son sang en abondance. Sur le sol, le sang coule à flots. Il s’effondre. Il se relève. Il s’enfuit. Il s’effondre. Il finit par mourir. Quelques jours plus tard, son frère l’avait retrouvé sans vie sur un lit d’hôpital. L’émotion est immense.

 

Le crime a-t-il un caractère raciste ?


Première question : le crime a-t-il un caractère raciste ? La justice ne poursuit pas sous cette qualification. Les avocates de la partie civile tentent de mettre sur le tapis la question des tensions communautaires. Un policier est catégorique : « Des tensions, il y en a toujours eu dans les quartiers, je ne sais pas si c’est lié aux communautés. Ce que je sais de l’affaire, c’est qu’ils semblaient se connaître et se dire bonjour. » Les témoins ont été nombreux à défiler à la barre pour raconter leur vision des conditions de la mort de Yusupha. Un seul a évoqué cette hypothèse : « Ils ont dû se dire : vu qu’il est noir, ça n’a pas d’importance. »

 

« Je te le dis, le gros avait un couteau »

Le meurtre de la rue Colette met en cause quatre accusés. Tous de nationalité arménienne. Il y a d’abord un père et son fils, Edvard et Mickhael Davtyan.
Ils reconnaissent avoir été présents lors de la rixe, mais réfutent toute violence sur la victime. Le père, 66 ans, maintient avoir surtout cherché à séparer les belligérants.
Le fils, 37 ans, affirme s’être porté à la défense de son père. Il souffre d’un déficit intellectuel limité, sa responsabilité pénale est altérée. Ils sont jugés pour coups mortels (violences sans intention de donner la mort) et encourent 20 ans de réclusion criminelle.

Troisième accusé, Arman Badalyan, 32 ans. Dit « le gros » en raison de ses 120 kilos de l’époque. Lui est jugé pour meurtre et risque une peine de 30 ans. On le voit, sur la vidéo, porter des coups avec un objet brillant. L’accusé prétend qu’il s’agit de ses clefs de voiture. Véto du médecin légiste : « C’est incompatible avec les plaies constatées sur la victime. » Alors, un couteau ? Oui pour les policiers. Oui pour les habitants aux balcons, qui ont tous vu Badalyan aller jusqu’à sa voiture alors qu’une première altercation avec la victime avait déjà eu lieu, et revenir avec une arme blanche. Moussa (prénom d’emprunt), le copain de collège, celui qui était aux côtés de Yusupha lors de cette funeste soirée, défie l’avocat de Badalyan. « Je te le dis et te le redis : le gros avait un objet en main. Si ce n’est pas un couteau, c’est un ciseau. »

Me Sorin Margulis n’a cependant pas dit son dernier mot, et obtient une petite victoire auprès d’un autre témoin : Une femme, russe, qui habite au rez-de-chaussée. La scène de crime s’est déroulée à trois mètres de son balcon, qui a été atteint par les traces de sang. Elle est formelle : elle n’a vu que Vahram Ghazarian avec un couteau.

 

L’absent qu’on va juger


Vahram Ghazarian, 31 ans, c’est le quatrième accusé. L’absent au procès. L’homme à la veste verte. Sur la vidéo, on le voit revenir porter deux violents coups de pied à la tête de la victime, qui gît au sol dans une mare de sang. Moussa, le copain de collège, est catégorique : « On voyait qu’il voulait le tuer.
Ils sont venus en groupe pour le poignarder partout, sauf la tête. » Ghazarian, en fuite, est quand même jugé par la cour d’assises selon la procédure du défaut criminel.
C’est le seul à avoir un casier judiciaire. Il encourt lui aussi 30 ans pour meurtre. Ses comparses ne se priveront évidemment pas de le charger un maximum.

Le procès se poursuit ce mercredi avec notamment les interrogatoires des accusés. Pour essayer de comprendre comment s’est déroulé le crime. Pourquoi ? On le sait déjà. Ce soir-là, Yusupha a fait une remarque à l’un des mis en cause, qui portait une doudoune sans manches au mois de mai : « Tu as froid, mon frère ? », aurait-il lancé. L’intéressé l’a mal pris, la bagarre a démarré. « C’était une blague », martèle Moussa aux juges. Le jeune homme, deux fois père de famille, en est mort.

Marie Perrin

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